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24 janvier 2008 4 24 /01 /janvier /2008 23:03

Eloge

 

 

 

 

 

Lève-toi, Ô inconnu !

 

Aujourd'hui, tu n'es plus. Perdu dans les limbes, perdu dans l'histoire de notre temps ; l'histoire de notre Terre. Un pas de plus qui t'a mené vers d'autres cieux. L'expérience de tout homme, l'expérience de toute femme, la peur de tout humain. L'âme et l'esprit se lèvent et s'envolent. Le corps reste, putride représentation d'une vie passée, aux yeux de tous. On ne t'oubliera pas, célèbre ami, je t'en fais le serment. La nuit, l'ombre et les tourments t'emportent déjà sur un cheval de ténèbres, mais la flamme qui gît encore dans notre triste corps restera lumière de ta survie. Alors que même les pierres s'érodent, même les mémoires s'étiolent, tu resteras à nos esprits. Poussière de notre Terre, poussière de notre vie, Ô inconnu, sombre dans l'oubli.

 

 

 

Aujourd'hui, tu n'es plus. Mais qui ETAIS-tu ? Simple homme, chevalier, empereur ? Président, soldat ou affamé ? Tu étais nous, représentant de l'homme sur terre, par Dieu, et pour lui-même. Fils de la Nature, du hasard et d'un indicible 'Autre', cette vie qui t'a été confiée t'es retirée à présent. Alors, l'usage veut que tu te présentes une dernière fois à nos yeux, piètre bonhomme souillé par le temps, accusé par le poids des années, le soucis et le temps qui passe. Te voici donc, ici, parmi tes semblables qui te regardent, qui te pleurent, qui t'envient. Si tu avais été des nôtres, tu aurais ris. Ris de toute cette mascarade plaisante et hypocrite. Un dernier hommage ! Tu es bien, là-haut, pourquoi serais-tu triste ? Pourquoi le sommes-nous sinon pour nous-même ?

 

Parce que tu n'es que poussière redevenu poussière. Parce que cette condition qui était la tienne, tu l'as redonné sans râler quand on te l'a reprise. Cette même condition qui n'obtient de valeur à nos yeux que lorsque nous la perdons ; Ou qu'un proche la perd. Mais tu ES. L'inconnu qui disparaît, l'illustre âme, célèbre ami. Cette humilité qui est la tienne, cet amour dont tu faisais preuve, tout cela te différencie de nous tous. De nous tous, vivants, pleutres, perdus… Ici, présents pour t'accrocher dans nos mémoires ; pour que tu nous accroches dans la tienne également. Nous avons tous peur de la mort, nous sommes effrayés par l'inconnu derrière l'abîme, trop attaché à cette vie illusoire et courte. Ce chemin qui tu as parcouru, et que tu parcours, nous ne saurons jamais réellement ce qu'il EST avant d'y avoir mis les deux pieds. Ces même deux pas qui nous horrifient tant ! Alors, nous louons ton courage, ta force, toi qui es passé de l'autre côté. Si tu nous entendais… C'est bien à toi pourtant, de louer notre courage, notre force, nos espoirs… Dans ce monde déchiré et débordé par les horreurs, dans ce monde d'injustice et de désespoir, dans ces tranchés de mondialisation et d'égoïsme. Ou, tu rirais encore ! Ce monde qui nous paraît si important, si précieux, si beau ! L'importance de ce don qui nous a été fait… cet acquis selon nous. Mais la Nature reprend chaque jour ses droits. D'acquis, nous n'avons rien si ce n'est la certitude de disparaître, nous aussi, un jour.

 

 

 

Aujourd'hui, tu n'es plus. Assoupi dans ce cercueil d'airain, ton dernier souffle semble encore flotter au dessus de nos têtes. Cette disparition que l'on va finalement oublier, au fur et à mesure, les jours, les mois, les années aidant. Tu es poussière, tu retourneras poussière. Inconnu tu étais, oublié tu deviendras. Mais tu étais humble, à la différence de beaucoup d'entre nous. La reconnaissance, la gloire, toutes ces choses philosophales qui représentent bien notre peur de ce passage ; ce passage que tu as accompli, sereinement, en souriant, te moquant de nous. Parce que tous autant que nous sommes, dévots, défenseurs des justes valeurs, libertaires, réactionnaire ou athées convaincus, nous finiront par laisser couler les mois, rassasiés par les jours qui passent, oublieux de ce qui nous entoure, désirant que le monde se rappelle à nous. Toi qui couche ici, représentant de l'éphémère devant l'Eternel, reste en nos âmes le symbole de la Vie, de la Mort, de notre condition d'Homme.

 

Mais tu nous poses les bonnes questions ! Qu'est-ce qui fait de nous des Hommes ? Qu'est-ce qui nous fait vivre, partager, créer, aimer, engendrer, alors que nous nous savons mourrant ? Pourquoi vis-je ? La vie est un don, un cadeau que nos propres parents ont voulu nous donner. Leur premier présent pour nous. Le deuxième, c'est leur amour. Un premier-né est Homme avant de savoir parler, marcher, réfléchir. Parce qu'il garde en lui ces deux présents qu'on lui a fait alors qu'il n'était rien, ou pas grand chose : la Vie et l'Amour. Ces deux récurrences qui font parties de nous, à jamais. Et toi, l'ami qui gît ici, tu les gardes, dans nos esprits et dans nos cœurs. Tu n'es plus tout à fait Homme, tu n'es plus tout à fait parmi nous ; mais tu gardes, même après la mort qui nous emporte tous, ces deux présents que tu partages encore aujourd'hui. La Vie et l'Amour… Et toi, Ô inconnu, tu avais foi en nous ! Tu avais foi en ces deux présents. L'Homme pouvait bien lutter contre lui-même, se détruire, voler son frère, violer sa sœur et tuer ses parents, tu étais sûr, qu'au final, l'Homme était bon. Oui, bon mais libre. Ce que personne n'ose comprendre. Tu le voyais bien au final, tous se retournait contre leurs Dieux et idoles, n'osant comprendre cette fatalité qui faisait de leur monde ce qu'ils en voulaient. Liberté, liberté chérie. Combien d'autres que toi ont combattu pour prévaloir ce droit ? L'histoire de l'Homme, l'histoire de sa lutte en ce monde…

 

 « Il n'est point de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage. » Ainsi parlait Périclès le Grec. D'il y a plus de deux milles ans, rien n'a changé. De courage, beaucoup avant nous, et toi aussi, en ont fait montre. Et pourtant, l'on ne se sent pas heureux ? Alors, regarde Compagnon ! ce que nous en avons fait de votre présent. Cela en valait-il le coup, pour voir les loups dévorés leurs congénères dans une lutte de pouvoir sans merci ? Ce courage qui était le votre, c'était au final votre liberté.  Cette même liberté qui vous a rendu heureux. Parce que OUI ! Vous deviez être heureux, malgré les horreurs, les guerres, les morts ; vous deviez être heureux de pouvoir lutter pour quelque chose… ce cadeau auquel vous croyez, et que vous souhaitiez nous voir porter. Oui, célèbre ami, ce bonheur là, tu le portais aussi. Tu le portais pour nous qui le piétinons maintenant, en osant également te regarder une dernière fois, en te portant cet hommage. Et comme disait feu M. de Montherlant : « La liberté existe toujours. Il suffit d'en payer le prix. » Alors, combien doit-on ? Ce prix, tu l'as payé en disparaissant, en combattant, en perdant tes proches, tes amis, tes amours. Sommes-nous prêt à payer le prix de notre liberté ? Tel que nous vois, ici présent, pas un seul de nous ne pourrait agir comme tu l'as fait. Pas un seul pour prétendre donner sa vie pour une juste cause. Pas un seul pour prétendre avoir le cœur sur la main. Pas un seul pour prétendre à une vie de misère et de souffrance afin de voir un lendemain plus beau. Pas un seul pour donner vie à la vie de nos enfants, petit-enfants et arrière petit-enfants. Pas un seul pour penser à demain, à l'avenir et non pas à notre propre avenir. Pas un seul pour comprendre, défendre, soutenir, supporter, assurer, préserver, aider, délivrer, animer, apprécier, charmer, aimer, chérir, choyer, notre terre. Et nous sommes pourtant là, à regarder les restes de ce que tu étais autrefois, inconnu. Soupirant sur ta tombe d'une vie qui ne nous sied plus guère, désillusionnés sur nos rêves auxquels nous ne croyons plus, refusant en quelque sorte ce don que tu nous as fait.

 

 

 

Entre ici, tonnait Malraux à l'adresse de Jean Moulin. Entre, toi aussi, le long de ce cortège d'ombres et de suie, de pleurs et de sang. Ton chemin s'achève, dans l'amertume et l'oubli. A se croire immortel, l'on oublie l'essentiel. Qu'en avons-nous fait, aujourd'hui ? Nous l'enterrons… avec toi. Puisse-t-il un jour ressurgir, et faire revivre nos vieilles croyances, faire exister nos vieux idéaux. C'est cette peur que nous sommes venus enfouir sous ce cercueil ; cette folie à laquelle tu t'es attaché à servir pendant toutes ces années. Ô célèbre inconnu, fuis cette terre misérable, fuis ces peuples exécrables, fuis nous. Par la reconnaissance que nous t'apportons aujourd'hui, c'est ton oubli que nous voulons assurer. Nous sauver des griffes de ce destin trop présent qui crie, hurle, que l'on se trouve entre ses mains. La peur s'étreint mais ne s'éteint pas. Nos pierres philosophales, quand à elles, se montrent et paradent. A travers notre présence ici, vois, Ô inconnu, cette attache que nous portons à notre enveloppe ; que nous portons à cette vie dont nous avons oublié de nom. Cette reconnaissance que l'on te doit pour nous dire : « enfin ! Nous n'avons plus peur maintenant ! »

 

 

 

Lève-toi, célèbre ami, et entre ici avec ton cortège de douleur, de violence et d'espoir. Cette liberté pour laquelle tu t'es battu, cette héritage que tu voulais nous voir porter s'enfuira avec toi. Déjà, la nuit t'appelle, enfante du ciel et du néant, et enveloppe ton esprit de brume et d'amour. Au loin, entends ces chants, ils rugissent pour toi, pour vous, êtres vivants d'ailleurs. Sur les rivages de cette terre, sur la nappe nimbée de lumière, traverse le temps de l'oubli. La présence d'un dieu n'est plus posée, personne pour t'accueillir, personne pour nous libérer : l'Homme est libre ; mais quand rien ne tourne rond, il cherche cette non-présence pour se rassurer. Alors, toi qui monte _même si plus rien ne doit avoir de sens pour toi_ regarde et dis-nous ! Dis-nous ce qu'il se passe. L'Homme a peur, l'Homme prend peur, l'Homme EST peur.

 

Et quand nous tournerons les talons, quand nous repartiront à nos petites vies, au-dessus de nous non pas l'ange de la miséricorde, mais bien toi, hautain et ironique, nous regardera. Cette présence, ce poids qui font que les années passant sont dures à vivre, qui font du remord une composante de notre vieillesse, qui font de ta mémoire la croix que nous portons ; cette présence, nous te la devrons. En mémoire de toi, célèbre ami, Ô inconnu, nous continuerons à vivre comme nous le faisons, à oublier, à supplier, à détruire. Ta mort est cet exemple de droiture et d'incompréhension qui nous fait nous murmurer : « C'était un saint homme, quelqu'un de bien ! Jamais au grand jamais, nous n'aurions pu faire comme lui !  » Et jamais au grand jamais, nous n'oserions nous dire que peut-être tu étais comme nous, un simple humain, un inconnu.

 

 

 

Lève-toi, ami ! Et va.

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